10 mars 2021

Reportage à l'Hôpital cantonal des Grisons

Un après-midi sous le signe de l’improvisation

Depuis 25 ans, les docteurs Rêves se rendent chaque semaine à l’Hôpital cantonal des Grisons à Coire. Même après un quart de siècle, chaque visite reste unique, car les artistes s’adaptent toujours aux besoins actuels des petits patients. En suivant à la lettre les mesures sanitaires, nous avons passé, début janvier, un après-midi avec le dr Ahoi qui nous a fait découvrir l’art de l’improvisation. Des voix chuchotantes, un va-et-vient de pas, des portes qui s’ouvrent et se referment. Au bout du couloir de l’hôpital, de grandes baies vitrées offrent une vue sur des cheminées fumantes et des montagnes enveloppées d’un épais brouillard. Le soleil cherche sans cesse à percer le ciel laiteux. Et juste au moment où il envoie un timide rayon de lumière dans la vallée, des sons discrets se font entendre. « Hey ciao ! On est déjà mardi ? » La cheffe de service , Franziska Bernold , accueille joyeusement ce visiteur musicien. Il se présente devant les petits patients avec une casquette de capitaine, une marinière et une blouse colorée, comme il le fait chaque semaine depuis 20 ans : voici le docteur Ahoi. Ce sont de joyeuses retrouvailles. « Pour nous, les visites des docteurs Rêves sont une distraction bienvenue. Et pour les patients, c’est une diversion précieuse dans laquelle ils peuvent s’immerger complètement et oublier tout ce qui les entoure», s’enthousiasme Franziska Bernold.

Un rythme doux adapté aux tout-petits

Le dr Ahoi commence sa tournée de visites chez les plus petits, dans le secteur de néonatologie. Arrivés trop tôt, ces petits êtres sont emmitouflés dans des couvertures douces, un sparadrap en forme d’étoile sur le dos et un minuscule bonnet blanc sur la tête. Les bips et les clignotements des machines s’enchaînent à rythme régulier. Le docteur Rêves s’approche tout doucement des couveuses. Alors qu’il se penche avec un regard émerveillé sur l’un de ces petits bonhommes, de douces notes résonnent de son ukulélé. La mélodie est rejointe d’abord par un fredonnement imperceptible, puis par une voix douce. « En néonatologie, j’adapte le rythme et le volume aux bébés. Je cherche avant tout à alléger l’atmosphère pour qu’ils se détendent », chuchote l’artiste. Qui l’eût cru : au bout d’un moment, l’affichage de l’écran à côté de l’incubateur change… le rythme cardiaque a ralenti.
En visite en néonatologie, docteur Ahoi laisse échapper de douces notes de son ukulélé pour les tout-petits.

En visite en néonatologie, docteur Ahoi laisse échapper de douces notes de son ukulélé pour les tout-petits.

Des boules magiques porte-bonheur

Un étage plus haut, Ahoi frappe doucement à la porte de la chambre de Fadri, neuf mois. « Je peux entrer ? » En guise de réponse, le petit garçon esquisse un léger hochement de la tête. Ses yeux timides et prudents fixent le docteur Rêves. « Si je perçois un léger scepticisme chez un enfant, je reste en retrait. Il s’agit d’abord de gagner leur confiance » explique Ahoi, en s’arrêtant au seuil de la porte de la chambre. Il entonne quelques notes subtiles et observe attentivement la réaction du petit Fadri. En effet, le nourrisson se montre de plus en plus intéressé, et ce encore plus lorsque le drôle de docteur fait tournoyer des boules brillantes dans les airs. « Je vous ai apporté tout plein de bonheur. Il se cache dans ces bulles de savon. Tu le vois ? » Ravi, Fadri tend ses mains. Sa mère sourit. Et boum ! La bulle de savon éclate comme par magie. Avec un regard interrogateur et intéressé, Fadri lève les yeux vers Ahoi qui fait déjà naître de nouvelles bulles.
Fadri, âgé de neuf mois, pousse de petits cris de joie à la vue des bulles de savon du docteur Ahoi.

Fadri, âgé de neuf mois, pousse de petits cris de joie à la vue des bulles de savon du docteur Ahoi.

Pour cela, l’artiste met en pratique une nouvelle technique : agiter au lieu de souffler. En effet, en réponse aux dernières directives sanitaires, les artistes ont adapté plusieurs aspects de leurs visites. Désormais, le dr Ahoi colle son nez rouge sur un masque, ne partage pas d’objets avec les enfants et désinfecte scrupuleusement ses accessoires entre chaque utilisation. C’est notamment en renforçant les mesures d’hygiène, déjà existantes, que les visites des docteurs Rêves ont pu être maintenues dans une majorité des hôpitaux.
« Les visites des docteurs Rêves ont autant de valeur que d’autres prestations paramédicales. »
Tom Riedel, médecin-chef et responsable de département à l’Hôpital cantonal des Grisons
« Nous sommes très heureux de pouvoir compter sur la présence des artistes de la Fondation Théodora, surtout en ces temps difficiles », confirme le docteur Tom Riedel, médecin-chef et responsable de département à l’Hôpital cantonal des Grisons. « Nous considérons ces visites au même niveau que d’autres prestations paramédicales, il est essentiel de pouvoir les poursuivre. »
« Il y a du bonheur là-dedans. Parfois, on arrive à l’attraper. Mais il faut être rapide ! »

« Il y a du bonheur là-dedans. Parfois, on arrive à l’attraper. Mais il faut être rapide ! »

Fadri danse avec les bulles de savon

Fadri n’est pas conscient de toutes ces considérations, et c’est tant mieux. Il fait à présent éclater les bulles avec ses mains, ses pieds et sa tête. Il en résulte de légères éclaboussures qui semblent tout d’abord perturber Fadri, puis lui font pousser de petits cris joyeux. Lorsque le bambin commence à taper du pied, le dr Ahoi suit le rythme avec son ukulélé. L’ambiance dans la chambre devient plus détendue, plus légère, plus insouciante. S’ensuit une farandole de bulles, de musique et de danses, et à la fin, tout le monde applaudit. Fadri affiche un sourire rayonnant. « Merci beaucoup de nous avoir offert ces précieux moments », s’exclame avec reconnaissance la mère de Fadri, lorsque le docteur Rêves ferme lentement la porte derrière lui.

Les bons plans de l’influenceur Leonidas

« Eh bien, voilà enfin un grand ! Jusqu’à présent, j’ai rendu visite à des petits et je ne pouvais pas leur demander des choses comme ça », s’exclame le dr Ahoi, en guise de bonjour à Leonidas, douze ans. L’adolescent aux yeux pétillants est visiblement flatté. Au-dessus de sa tête, un écriteau indique en grandes lettres : « Doit rester alité ». Sur la table de nuit, on peut apercevoir le roman d’Alexandre Dumas, « Le Comte de Monte-Cristo ». Dr Ahoi s’empresse de demander conseil à l’adolescent, amateur de littérature : « Je veux devenir célèbre. Je veux devenir un… comment dit-on déjà… Influenza ? » – « Influenceur? » – « Oui, c’est ça, un influenceur ! Que dois-je faire ? »
« Un petit sourire passe toujours bien. » L’expert Leonidas conseille le dr Ahoi pour son premier selfie.

« Un petit sourire passe toujours bien. » L’expert Leonidas conseille le dr Ahoi pour son premier selfie.

Le docteur Rêves est tout heureux d’apprendre que la musique pourrait déjà l’aider à générer de bons taux de clics. D’après Leonidas, la chanson de Fifi Brindacier n’est pas appropriée pour faire du hip-hop à succès. Il faut un style plus saccadé « Yo, yo, yo. Je suis le docteur Ahoi ! Mon influenceur s’appelle Leonidas ! Yo, yo. Ye, ye. » Ahoi pince les cordes avec vigueur. Leonidas conseille gentiment à l’apprenti rappeur de s’exercer encore un peu. Le docteur Rêves prend la situation avec philosophie. De toute façon, ce qu’il veut absolument maintenant, c’est prendre un selfie avec Léonidas, son influenceur préféré. « Clic », ce moment unique est immortalisé.
Tout sourire, Leonidas a visiblement apprécie ce moment de distraction avec le dr Ahoi.

Tout sourire, Leonidas a visiblement apprécie ce moment de distraction avec le dr Ahoi.

  • Depuis 1996, la Fondation Théodora rend visite chaque semaine aux petits patients de l’Hôpital cantonal des Grisons.
  • Les drs Rêves y ont réalisé à ce jour plus de 7000 heures de visites auprès des enfants et de leurs parents.
  • Depuis 20 ans, le docteur Ahoi offre du rire aux enfants.
Texte: Patrizia Brosi Photos: Riccardo Götz

Interview du professeur Christoph Rudin

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